Olivier Beaud, Le cas français: l’obstination de la jurisprudence et de la doctrine à refuser tout idée de limitation au pouvoir de révision constitutionnelle

Le cas français offre un cas assez étonnant au regard notamment du cas italien. En effet, d’un côté, l’article 89 de la Constitution de la Vème République, qui porte sur la révision, prévoit explicitement deux types de limites à une telle révision. D’abord, une limite d’ordre temporel est contenue dans l’alinéa 4 selon lequel « aucune procédure de révision ne peut être engagée  ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte  à l’intégrité du territoire ». Ensuite une limite d’ordre substantiel ou matériel figure à l’alinéa 5 aux termes duquel « la forme républicaine du gouvernement ne peut être abrogée » qui est un héritage lointain de la IIIème République (révision de 1884). Il y a donc une forte analogie avec l’article 139 de la Constitution italienne de 1946 qui dispose « La forme républicaine ne peut faire l’objet d’une révision constitutionnelle. » Les deux constitutions française et italienne, comportent donc la même « clause d’éternité » pour reprendre une formule ciselée par la doctrine allemande (Ewigkeitklausel) pour décrire l’article 79 de la Loi fondamentale.

D’un autre côté, malgré la lettre de la Constitution qui semble autoriser des limites matérielles à la révision, ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’Etat n’ont souhaité s’engager dans l’idée d’un contrôle matériel des lois de révision constitutionnelle. La différence est cette fois frappante avec la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne qui a, elle, accepté, au moins une fois, de s’engager dans un tel contrôle.

Le présent article visera à décrire cet état du droit positif en France et aussi à s’interroger sur les raisons de la réticence des juristes français à admettre de telles limitations matérielles. Selon nous, c’est l’adhésion d’une grande partie de la doctrine et des juges à une sorte de positivisme « tranquille » qui les conduit à rejeter une telle hypothèse. Le rôle d’un « légiste » comme le doyen Vedel sera mis en avant afin d’illustrer cette position de la doctrine française qui repose, – comme on l’expliquera — sur une conception formelle de l’idée de Constitution. Il y a là une homologie frappante entre la manière de penser des hautes juridictions et celle de la grande majorité de la doctrine publiciste. Une telle manière de penser révèle un fort scepticisme à l’égard des réflexions de théorie constitutionnelle chez les juristes français qui aiment à se présenter  et à se représenter comme des « experts » ou des « praticiens », ne se laissant pas impressionner par des arguments dits «  théoriques ». […]

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Sommaire de l’article: I – Le droit positif : le refus d’admettre l’existence de limites  matérielles juridiques au pouvoir de révision constitutionnelle. ― A/ Quand le Conseil constitutionnel « se fait timide » et refuse tout contrôle des lois constitutionnelles. ― 2/ Les deux autres composantes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. ― b/ Le Conseil constitutionnel moins timoré quand il s’agit de la procédure. ― 2/ Le Conseil d’Etat plus audacieux qu’il ne prétend. ― II – Le positivisme sceptique de la majorité de la doctrine française ou le refus de l’idée d’une limitation matérielle du pouvoir de révision. ― A/ L’hégémonie des « légistes » ou le triomphe de « la doctrine du scepticisme constitutionnel ». ― 1/ Un détour biographique : Georges Vedel « pape »de la doctrine publiciste française. ― 2/ Le fond de l’affaire : Vedel en juriste sceptique et rétif à la théorie constitutionnelle. ― 2/ La condensation des thèses de Vedel sous la Vème République. ― B/ Les implications de la position « sceptique » ou du « positivisme tranquille » de la doctrine majoritaire.

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